Mes nudes d’asexuelle

DIALOGUE

HA ! HA JE VEUX PAS SAVOIR JE VEUX PAS SAVOIR !

Mais qu’est-ce que tu racontes ? Des nudes c’est des photos de toi nu.e, ça implique pas forcément du sexe. C’est pas parce que t’es à poil que c’est sexuel, ça peut être aussi anodin que prendre une douche.

Ah bon ?

Pour les gens normaux, je sais pas. Pour moi, asexuelle… Ouais.

Pourquoi les gens prennent des photos nu.e.s ?

D’après les différents articles que j’ai lus, ça peut être pour une ou plusieurs raisons des raisons suivantes :

  • Pour des raisons érotiques : exciter un.e partenaire ou partenaire potentiel.le, découvrir son image de façon érotique, excitante
  • Pour des raisons feel-good : pour se débarrasser d’un complexe, ou de façon générale pour apprivoiser son corps et apprendre à l’aimer.

Pourquoi Caro a pris des photos d’elle nue

Moi, je ne comprends pas en quoi un corps nu est érotique. Je ne comprends pas l’érotisme quand il n’est pas directement en train de représenter un acte sexuel, vu que je ne suis pas excitée par le corps des gens ça m’échappe complètement.

Du coup, c’était pour être body-positive ?

Ben non. Non seulement je n’ai pas prévu de les montrer à qui que ce soit, mais en plus, j’ai la chance de ne pas du tout être complexée. J’adore mon corps tel qu’il est et je ne veux surtout pas le changer.

Là je pige plus rien.

J’allais bientôt me coucher, j’étais nue enroulée dans un plaid, il y avait juste une lampe d’allumée, et, je sais pas, je me suis dit que ce serait joli sur une photo. Alors j’ai commencé à prendre quelques photos, et plus j’en prenais, plus je me rendais compte que tout, dans ces photos, renvoyait à mon asexualité. Et j’ai trouvé ça hyper intéressant, du coup j’en parle.

Photo n°1

La photo prend mon buste, le plaid couvre mes épaules et un sein. L’autre sein dépasse, une moitié légèrement dans l’ombre, le reste, ma poitrine et mon cou, à la lumière. J’ai la tête tournée, je regarde quasiment le coin supérieur droit de l’appareil. On voit dans l’arrière-plan un petit bout de mon lit auquel j’étais adossée, mon affiche Sherlock et mon portemanteau.

Y sont quand même pas mal, tes seins. mais pas aussi bien que les miens.

Merci quand même !

J’ai donc pris cette pose en me disant que ce serait joli. Et effectivement, c’est joli, mais quand on re-regarde cette photo… J’ai l’air d’avoir la tête ailleurs, de penser à autre chose. Je m’en fiche, de ce sein, je ne le regarde même pas alors qu’il est pourtant très mis en valeur, comme s’il était totalement anodin. Et à mes yeux, il l’est : je l’aime bien, il est super cool, mais… c’est tout. Ça se voit que je suis complètement à côté de tout le potentiel érotique de la photo.

C’est une crotte de nez, là ?

Non, c’est une mèche de cheveux.

On dirait vraiment une crotte de nez. Les aléas de la plongée…

C’est pas plutôt une contre-plongée ?

J’en sais rien, je confonds toujours.

Moi aussi.

Photo n°2

J’essaie de jouer encore avec ce côté érotique que je comprends si mal, que je sais présent mais que je ne peux pas plus saisir que de la soupe à la fourchette. Je suis debout, enroulée dans le plaid que je maintiens au niveau de la poitrine comme si j’étais prête à le défaire. On ne voit que mon menton, mon cou, un petit bout de poitrine au-dessus des seins, et ma main sur cette couverture.

Ca se voulait aussi érotique que la photo précédente, finalement ça ne l’est pas. Le plaid à carreaux ne montre rien de mes courbes, et la main supposée prête à dévoiler a l’air en réalité de ne vouloir que cacher.

Et c’est pour moi quelque chose de très asexuel.

Hein ?

Le fait de vouloir théoriquement l’érotisme, la sexualité, mais en pratique s’y prendre comme un manche parce qu’on n’a pas l’instinct pour ça et qu’on y pige que dalle, ouais, c’est tout toi !

Tout de suite !

Photos n°3 (4, 5, 6)

Quitte à être érotique, autant y aller carrément. Sur cette photo, je suis debout devant mon miroir. En arrière plan, un bout de lit, de bureau, de rideau, et ma brosse posée sur le meuble. Toute la moitié gauche de mon corps est couverte par le plaid d’où dépasse la main qui tient le téléphone, dépassent un sein, un morceau de cou, une épaule et un morceau de bras, un sein, la courbe de ma hanche.

C’est drôle, dit comme ça, on se croirait un peu à la boucherie.

Haha, peut-être ! Tu vois, même en y réfléchissant une semaine après, je n’arrive pas à décrire autrement qu’avec cette objectivité. Je peux interpréter, mais pas décrire avec autre chose que de l’objectivité…

Je me regarde dans les yeux. Ma bouche est couverte par le téléphone. La photo est légèrement floue.

Cette fois, cette photo pourrait être légitimement considérée comme érotique. C’était important pour moi de me regarder dans les yeux, en prenant la pose je l’ai senti comme une façon d’affronter cette image érotique, cette dimension sexuelle de mon corps qui m’est si totalement étrangère, la regarder et me dire « c’est aussi moi, ça ».

Mais est-ce qu’une asexuelle peut se dire « C’est aussi moi, ça » devant une représentation érotique d’elle-même ? Dans mon cas, pas totalement. J’ai fait exprès d’avoir la bouche couverte par mon téléphone, j’y tenais vraiment, alors que pourtant elle est très bien, ma bouche. C’est un peu comme si, en me regardant dans une posture sexualisée, je me refusais d’un coup le droit à la parole.

C’est un peu psychologie de comptoir, ça, non ?

Sans doute, mais d’une, c’est la seule explication que j’ai, et de deux, ça fait partie des impressions que donne cette photo. Comme si le regard était désormais la seule chose qui comptait. D’ailleurs, la photo est légèrement floue, parce que ma main tremblait un peu. Comme si, finalement, c’était « trop ». C’est trop d’avoir ce corps bizarrement sexuel et de le regarder en face, je ne peux pas complètement, alors c’est flou. Je ne peux pas complètement le voir en face, il y a toujours quelque chose qui m’échappe.

J’ai essayé de la refaire sans le flou ; il y a deux fois où j’ai oublié de me regarder dans les yeux, la photo perd tout son intérêt, on dirait juste que je suis sur mon portable, et pour la troisième ma main tremblait trop, c’est tellement flou qu’on n’y voit presque plus rien. Du coup je garde la numéro 4 telle qu’elle est, elle me plaît comme ça.

Photo n°7

Tiens, je me dis, pour l’instant on ne voit que mes seins, mes épaules, mon cou, que des parties que je trouve super, et on ne voit pas du tout mes jambes. J’ai donc pris une photo accroupie de mes deux cuisses l’une contre l’autre, l’une légèrement au-dessus de l’autre, le plaid cachant ce qui est plus haut.

J’ai pris une pose de troll : j’ai essayé de faire en sorte que mes cuisses paraissent le plus allongées possibles, alors que pour de vrai, elles sont un peu grosses, légèrement disproportionnées par rapport au reste de mon corps – et rien que ça suffit à me faire galérer pour trouver un jean, ça me fait râler, si moi, correspondant globalement très bien aux canons de beauté actuels, je peux galérer à trouver un jean, qu’est-ce que doivent endurer les personnes qui ne le sont pas, et à quand des vêtements faits pour nous habiller nous et pas une image !

C’était le HS du jour. Et vous avez pensé à comme c’est chaud de trouver des habits dans les boutiques humaines quand on fait plus de deux mètres ? Je suis sûre que non, bande d’égoïstes !

Pardon, je m’emporte. C’est donc une pose de troll, car je triche, je triche alors qu’en vrai je m’en fiche, j’aime moins mes cuisses que mes seins ou mes épaules, mais je les aime quand même.

Et ce qui est drôle, c’est que ça se voit. Ça se voit que j’ai beau les avoir amincies de par cette pose, ça ne suffit pas à les faire rentrer complètement dans le cadre, ça se voit, quand on regarde la ligne de ma cuisse droite, que ça fait des « trous » : il y a de la graisse et de la cellulite. 

Ça me fait rire. j’adore l’idée que quand quelque chose est légèrement différent, peu importe combien on essaie, ça ne rentre pas totalement dans le cadre, et j’adore le fait que même si mes cuisses sont à leur avantage, elles restent elles-mêmes.

Photo n°8

Pour cette photo je me suis placée au-dessus du radiateur qui souffle, mes cheveux volent dans tous les sens. J’ai un grand sourire, je regarde l’objectif, on ne voit de mon corps que mon cou, ma poitrine et la naissance de mes seins.

C’est la photo la moins érotique, et c’est aussi celle qui me ressemble le plus.

Ca t’étonne ?

Non.

Tu crois que ça veut dire que sans la dimension sexuelle de ton corps, tu te sens libre d’être toi-même ?

Non, je crois que ça veut dire que quand je suis nue, non seulement je m’en fous, mais en plus je préfère jouer avec mes cheveux plutôt que de faire quoi que ce soit qui impliquerait mes seins, mes cuisses ou le reste.

T’as vu, moi aussi je peux faire la psy de comptoir.

J’ai vu.

Photo n°9

Je suis debout, je regarde l’objectif en souriant. On ne voit que mon buste, je cache mes tétons avec les mains.

J’ai essayé de reproduire la pose que j’avais prise en rêve (oui, un jour, j’ai rêvé que j’avais fait un nude qui ressemblait à peu près à ça, et qui était mi-érotique, mi-complètement moi). Ça n’a pas marché : non seulement ça ne ressemble pas du tout à mon rêve, mais en plus, c’est la photo qui montre le plus et sans doute celle dans laquelle je me reconnais le moins. Mais c’est pas grave.

Photo n°10

La conclusion de la série : mon lit ouvert, avec le plaid posé négligemment dessus.

La conclusion logique aurait été une photo où je suis complètement visible, une photo complètement nue, ou bien une photo de mon sexe. Mais non. C’est une photo où on retrouve ce plaid qui a été abandonné un moment, mais pas moi.

Et le meilleur, c’est que ce lit vide pourrait être symbole d’une nuit de stupre, mais en fait, non.

Qui dit stupre ?

Après les photos précédentes, ça semble impossible. C’est clairement un lit dont je suis partie et où il ne s’est rien passé. Et le plus fort, c’est qu’en y jetant le plaid au hasard, il s’est plus ou moins mis en boule, comme s’il se recroquevillait sur lui-même et rendait toute activité sexuelle impossible.

C’était pas du tout ce que je voulais dire, alors j’ai essayé de reprendre une photo avec le plaid dans une autre position. Devinez quoi ? Ça n’a plus rien à voir, et ça ne ressemble à rien, ça ne veut plus rien dire. J’ai gardé l’autre.

Et en re-regardant ces photos dans l’ordre, ce cheminement de fille presque normale qui essaie à tâtons de comprendre et de s’approprier une image érotique d’elle-même, une chose est claire : je suis asexuelle. J’ai voulu m’amuser avec la bizarre composante sexuelle de mon corps, résultat, je me retrouve avec une série qui clame que je suis asexuelle encore plus clairement que si je me l’étais tatoué sur le front.

Et vous savez quoi ? Je la trouve parfaite.

Moi, je m’ennuie.

Toi, tu me fatigues et tu as la capacité de concentration d’une huître.

N’importe quoi ! Ton article est chiant, c’est tout !

Bref, c’était un peu inhabituel comme article…

… chiant…

Mais j’espère que vous avez aimé !

 

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